Narrativité

Pour Nancy Huston  (2008), nous sommes une espèce fabulatrice c'est à dire que le réel humain serait dans les fictions qui le constituent. "Devenir soi -ou plutôt se façonner un soi- c'est activer, à partir d'un contexte familial et culturel donné, toujours particulier, le mécanisme de la narration". (Huston, 2008).

Notre identité serait avant tout relationnelle et façonnée par des histoires que nous racontons, que nous nous racontons, que les autres racontent sur nous.

Thierry Melchior (1998) considérait que le langage participe, à l'aide de l'imagination,  à notre organisation perceptive. Le langage ferait même exister une chose comme distincte. Ce rapport du langage au réel  est ce qu'il appelle la proférence c'et-à-dire "mettre au-dehors", "faire surgir", "causer", "créer", "produire".  Le langage contribuerait ainsi à faire exister les réalités qu'il évoque.

Selon Cottor et al. (2009) nous sommes des narrateurs et des hébergeurs d'histoires. Nous utilisons nos histoires pour organiser notre expérience de façon à nous coordonner à ceux à qui nous sommes liés.

Pour Dallos (2006), plutôt que de voir le problème comme inhérent à la personne, il est plus utile de le considérer comme externe, temporaire, et lié à des contextes familiaux ou sociaux-culturels. Il est alors alors possible de l'objectiver et de le décrire à distance de la personne.

Si nous pouvons accepter la possibilité que, du monde réel, nous ne pouvons connaître avec certitude que ce qu'il n'est pas;  alors, selon Watzlavick (2000), la psychothérapie devient l'art de remplacer une construction de la réalité qui n'est plus "adaptée" par une autre, qui l'est mieux.

Kelly (1980) fait l'hypothèse de la dichotomie ou la bipolarité entre les éléments semblables et pourtant différents dans les construits. Il est précurseur d'une composante affective dans l'approche constructiviste.

Pour l'approche narrative, les symptômes ne sont pas "anormaux", ile sont liés à la construction du "soi" et du monde et aux rapports interpersonnels. On peut changer de narration avec et en ayant besoin des autres, changer nos auto descriptions,  et nos descriptions du monde.  Comme disait P. Ricoeur "la personne humaine s'approuve elle -même d'exister et exprime le besoin de se savoir approuvée d'exister par les autres".

Les thérapies narratives visent donc à Identifier ou modifier les histoires qui maintiennent le problème et construire de nouvelles histoires qui créent de nouvelles possibilités de vie.


Références bibliographiques : 

Berger, P.; Luckmann, T. (1966). The Social Construction of Reality, New York : Doubleday.

Bruner, J. (2002). Pourquoi nous racontons des histoires ? Paris : Retz.

Crettenand, C. & Soulignac, R. (). La thérapie narrative: cultiver les récits pour dignifier l'existence. Paris : Chronique sociale.

Cottor, R., Asher A., Levin, J., Caplan Weiser, C. (2009). Le constructionisme socialappliqué: exercices pratiques. Bruxelles : Satas Le Germe.

Dallos, R. (2006). Attachment Narrative Therapy. Maidenhead : Open University Press.

Huston, N. . (2008), L'espèce fabulatrice. Paris : Actes Sud. un endroit où aller.

Kelly, GA. (1980). A personal construct theory. Londres : Academic Press.

Melchior, T. (1998). Créer le réel. Paris: Seuil.

Mori, S. & Rouan, G. (2011). Les thérapies narratives. Bruxelles : De Boeck.

Ricoeur, P. (1990). Soi-même comme un autre. Paris : Seuil.

Rosenbaum, F. (2019). Les mots pour les maux de l'exil. Paris : Fabert.

Vérilhac, C. (2022). La petite bibliothèque de l'Approche narrative: Sources, racines et ressources pour l'accompagnement. Paris :  InterEditions.

Vermeire, S. (2023). Unravelling trauma and weaving resilience with systemic and narrative therapy. New York : Routledge. 

Watzlawick, P. (2000).La construction des "réalités" cliniques. in Stratégie de la thérapie brève, 19-33. Paris : Seuil.

White, M. (2009). Cartes des pratiques narratives. Bruxelles : Satas.