Les violences

Le travail évidement prioritaire d'un  psychologue est  d'évaluer un danger dans le présent. Une non-coopération ou une incapacité parentale à comprendre les difficultés de son enfant peut être l'indicateur d'un danger.  L'intervention d'un psychologue comme de tout citoyen peut parfois être de signaler la maltraitance à la justice ou aux services de protection de l'enfance ou d'encourager à chercher refuge dans un lieu d'accueil, en particulier quand la personne n'est pas en capacité d'assurer sa propre sécurité ni de protéger d'autres sous sa responsabilité face à des violences.

Selon Perrone (2013), la violence est vécue comme une atteinte à l'intégrité de la personne, une contrainte, un danger, une appropriation, une destruction de l'individu. Pour Baron-Laforet, c'est un processus de destruction avec souvent comme corollaire un déni, une minimisation, une banalisation par l'auteur qui peut agacer. Certains considèrent l'agressivité comme l'expression d'un comportement de domination. En tant que telles  l'expression agressive n'est pas que le recours intentionnel  à la force  ou le pouvoir physique pour dominer un autre être, mais peut être aussi psychique.  Ceci peut avoir pour conséquence de générer des psychotraumatismes chez certaines personnes particulièrement s'il y avait préalablement des fragilités.

Le concept de contrôle coercitif introduit en France par Gruev-Vintila (2023) pourrait révolutionner la vision de la violence intrafamiliale et sa traduction juridique en France. Le contrôle coercitif, conceptualise la violence intrafamiliale comme une atteinte aux droits humains et désigne un répertoire de comportements oppressifs basés sur le privilège donné par le sexe des agresseurs, qui utilisent la coercition et la violence pour contrôler les personnes victimes. Déjà considéré dans plusieurs pays comme une meilleure définition juridique. Il révèle la violence conjugale comme une forme de violence sociale.

Le seul recours possible contre une telle agressivité est celui de la Loi applicable à tous y compris au dominateur. La Loi est le point fixe auquel se référer. Le long temps de la Loi permet à la personne victime de panser ses blessures et de se rétablir tout en écartant l'agresseur qui ne se soumettra qu'à la contrainte légale. Cependant pour le juge Edouard  Durand (2022), la violence peut être invisible, et il n'y a pas de position neutre : "mettre sur le même plan le loup et l'agneau, c'est être du côté du loup".  Ainsi le défaut de  protection, de mise en sécurité de la personne qui subit la violence est un risque majeur. L'importance d'une doctrine claire ("on vous croit, on vous protège"). Sortir des injonctions paradoxales, par exemple celles faites aux médecins. Il reste à voir si les préconisations qu'avait faites en son temps cette formidable première  commission ciivise seront "réellement mises en œuvre". Pourra t-on à l'avenir garantir une chaîne de protection ? Après-tout celle-ci ne vaut que ce que vaut son maillon le plus faible nous dit le juge Durand.  Elle aura été un espace de reconnaissance inédit pour les témoins qui s'y sont rassemblés (Durand, 2024).

Des outils législatifs existent déjà (même s'ils sont sous-utilisés) comme la possibilité de désigner un administrateur ad hoc et d'avoir son propre avocat pour un mineur. L'adoption du concept de contrôle coercitif dans la  Loi pourrait également permettre la création d'une culture commune pour mieux assurer la sécurité des personnes victimes et réduire l'impunité des agresseurs.

D'après Lamet (2022, p 118) les victimes de violence savent que leurs réponses émotionnelles sont très perturbées. De plus, l'agressivité de l'autre et les violences subies peuvent aussi contaminer la personne agressée qui pourrait à son tour avoir des comportements violents envers elle-même ou les autres. Pour Kammerer (2006) violence est un mot "fourre-tout" mais surtout celle du passage à l'acte. Perrone (1995) reconnaît également que la violence est difficile à définir et distingue  l'agression comme une forme de la violence, en prenant soin de ne pas définir l'agression comme la violence. L'agressivité est d'ailleurs souvent confondue avec la violence. Concernant l'agressivité, il peut être utile de prendre conscience de son propre niveau d'agressivité et de pouvoir apprendre à  l'abaisser pour ne pas passer à l'acte violent.

Pour Peggy Pace fondatrice de l'ICV (2019, p. 21), "la régulation émotionnelle s'apprend au sein de la dyade parent-enfant". Chez les adolescents violents et délinquants, plusieurs facteurs communs ont été identifiés par le psychiatre Maurice Berger: exposition précoce à des scènes de violence conjugale ;  troubles cognitifs aggravés par la difficulté à suivre une scolarité ;  incapacité à identifier et à situer correctement les parties du corps (indépendamment de la maîtrise du vocabulaire) ;  absence de culpabilité et d'empathie à l'égard de la victime ;  difficulté à rêver, à imaginer, à discerner le sens figuré des mots,  absence d'aire transitionnelle. Toujours selon Pace (2019, p.21), " sans un récit autobiographique cohérent durant leur croissance, il va manquer à ces individus un sentiment de soi solide".

On peut lister plusieurs types de violences : conjugales,  sexuelles (agression, viol,...) ,  harcèlement, outrages sexistes, mutilations sexuelles féminines, mariage forcé, système prostitutionnel...  Le viol comme le dit Niki de Saint Phalle est un crime contre l'esprit, qui, comme elle le dit dans son livre Mon Secret  à propos de son père, " il a brisé en moi la confiance en l'être humain"... Ferenczi parle d'ailleurs "d'autosacrifice de l'intégrité de son propre esprit pour sauver les parents" (à propos des transactions incestueuses cité par Sabourin, 2015).

Un thérapeute peut aussi avoir à faire avec des pensées, croyances et sensations introjectées de l’agresseur ; ce que Ferenczi a justement nommé comme étant l' identification à l’agresseur. Gauthier (2008) parle de partie abuseur des victimes "dirigée à leur insu tantôt contre les autres tantôt contre elles-mêmes". Des pollutions psychiques ont été inscrites par l'action délétère des autres et qui ne leur appartiennent pas. Ces pollutions risquent de se mélanger aux ressentis et sensations des victimes qui n'arrivent plus à les identifier comme leur étant étrangères (Gauthier, 2008).

Toutes ces violences ont en commun de générer des peurs souvent entretenues par des menaces. La personne subissant les  violences  se trouve en état de confusion psychique, son intégrité psychique est atteinte. Des biais cognitifs se sont développés avec des croyances erronées comme "la victime est responsable de l'agression", "il est dangereux d'exprimer ses sentiments", "je mérite d'être punie", "le faible a tort", "j'ai peur qu'il aille en prison"...D'après Gauthier (2008), "plus la personne aura appris à bloquer son système émotionnel et donc son ressenti psychique, plus la symptomatologie deviendra physique ou comportementale".  Les symptômes peuvent refléter une intense culpabilité, la minimalisation de la gravité des traumatismes subis,  une identification à l'agresseur, des comportements de provocation sexuelle ou à la violence qui exposent à un nouveau danger. Ceci entraîne trop souvent une incompréhension même chez des professionnels (services sociaux, forces de l'ordre, judiciaire...) insuffisamment formés. Il faut pourtant prendre la parole des personnes qui révèlent des violences sexuelles, "...la tenir pour vraie et agir en conséquence" (Durand, 2024).

Les violences considérées ici sont non consenties. En France, la caractérisation de la « violence, contrainte, menace ou surprise » est au cœur de la définition des violences sexuelles. Or pour un vol de portefeuille,  la victime n’a pas à prouver qu’elle n’était pas consentante mais pour un viol, la justice française interroge son consentement, elle doit par exemple avoir à montrer qu’elle « a résisté ». De plus pour acter son non-consentement  la  violence, menace, contrainte ou surprise de l'agresseur doit être prouvée. Ainsi est de plus en plus questionné la présomption de consentement induite par le Code pénal car il ne permet pas de rendre justice aux victimes, comme les statistiques le montrent,  et d'autres concepts judiciaires sont demandés comme l’exigence d’un consentement volontaire aux activités sexuelles, librement exprimé (Le Magueresse, 2012).

Un consentement  à un acte n'est jamais absolu ni définitif et doit pouvoir  à tout moment être arrêté. Une personne en état de faiblesse (âgée, vulnérable, jeune, mineure, traumatisée, en situation de handicap, de précarité, de grossesse, de maladie physique ou psychique, d'atteinte cérébrale...) peut être considérée de facto  comme non consentante particulièrement s 'il y a  une grande différence d'âge  avec la personne violente qui est souvent en position d'autorité. (par son âge, sa fonction...). la loi considère en effet  les circonstances comme aggravantes si l'agresseur est détenteur d'une autorité (époux, ascendant, policier, juge,  client, employeur...). En 2019 une enquête ipsos illustrait la représentation que c'est dans l'espace public que l'on court le plus de risque d'être violée or la réalité est toute autre : plus de sept viols sur dix sont commis par une personne connue de la victime (de Filippis-Abate, 2023, p 100) .

C'est l'autorité de la loi qui est gardien des règles en tant que référence ultime et non une autorité parentale ou disciplinaire subalterne à celle de la loi. C'est le juge -incarnant l'autorité de la loi, qui décidera au cas par cas si l'adolescent agressé est, selon sa maturité sexuelle individuelle, en mesure de consentir de façon éclairée à l'acte sexuel (Naudin, 2019). Suite à un classement, la personne peut déposer une nouvelle plainte sous une autre forme surtout si elle estime que l'enquête a été trop subjective et ainsi demander à un autre juge d'incarner la loi. En ayant en tête comme le souligne Violaine de Filippis-Abate (2023) que  "le système judiciaire est sexiste" et il faut en tenir compte en ce qui concerne les violences faites aux femmes et le faire évoluer grâce à de nouveaux concepts comme celui de contrôle coercitif de l'agresseur. Face au déni sociétal et à l'impunité des agresseurs orchestré derrière de grands principes comme celui de la présomption d'innocence , de la neutralité, de la légitimité, il semble pourtant que désormais  "quelque chose s'est grippé dans le mécanisme du déni (Durand, 2024).

La question du consentement renvoie les parents et les éducateurs à l'enseignement à l'enfant du "savoir dire non" alors qu'ils lui apprennent surtout à dire oui.  Les agressions ont ouvert chez la victime un trou béant, elle n'a plus de limite, cette béance les rend vulnérables aux autres et ouvre ainsi la voie à des actions abusives sur elle-même ou autrui (Gauthier, 2008).

Le Chef de l'Etat a reconnu ceci: " dans notre pays, on accède à la pornographie vers l’âge de 13 ans. Pour ces jeunes, leur imaginaire et leur sexualité se construisent par la brutalité qui va avec ces images. Nous nous devons de les protéger face à ces contenus." (pic.twitter.com/IuFrLEhDvO, 2019). En effet, la contamination précoce par les images pornographiques souvent sans que les parents s'en aperçoivent  (ou si c'est le cas s'ils en minimisent l'impact) peut entraîner la reproduction par le jeune de ce qu'il a vu ou continue de voir, ce qui se concrétise alors par le(s) passage(s) à l'acte sexuel violent.

Face aux violences, il est important de ne pas rester seul.


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